– Ce n’est pas une analyse des pratiques, c’est une mise en mots de l’activité !
– Pourquoi donc faire ça ?
– Disons d’abord que parler pour raconter l’activité, c’est effectivement un vrai travail.
– Travail ? Mais le travail, ce n’est pas ça ! C’est produire, dans une usine, c’est s’activer sur un chantier, dans un bureau, dans une salle de classe…etc. ; la liste est longue.
– Oui, mais au-delà des gestes, des postures, des efforts, des déplacements, des échanges verbaux directs ou au téléphone, de l’usage de tous les sens, qu’est-ce que donc travailler ? Ça se passe quand même dans la tête, non ?
– Ah si !
– Et alors, on ne peut donc pas raconter ce qui se passe dans notre tête, quand on travaille ?
– Peut-être. Il faudrait essayer. Mais à quoi ça peut bien servir de travailler à raconter notre travail ? Tout travail mérite salaire. Alors, quelle serait la rémunération d’un tel boulot ?
– D’abord, ce qu’on chercherait à raconter, ça ne serait pas le travail, mais un petit bout de notre activité.
– Mais travail et activité, c’est la même chose !
– Ah, mais pas du tout ! Le travail, c’est le travail, l’activité, c’est plus profond, en nous. L’activité, dans notre champ de pensée d’Étonnants travailleurs, c’est ce qui indique que nous sommes vivants. C’est notre activité qui fait que nous sommes en vie. Ou encore : c’est parce que nous sommes en vie que nous sommes en activité. Le travail vient après. Nous sommes en activité aussi à la maison, dans les transports en commun, et même quand nous dormons.
– Ah ! Mais alors, on gagne quoi à raconter un petit bout – ne serait-ce qu’un petit bout de son activité ?
– C’est comme faire du sport : on gagne quoi à courir, à faire de la natation, du yoga, du taïchi, du vélo ?
– Ben…on gagne un peu plus de santé, du moins on l’espère…
– Eh ! Raconter son activité, ça permet de gagner en connaissances, sur soi-même, sur les autres, et sur sa propre activité. C’est aussi ça la santé. Le gros lot, quoi !
– Tu m’en diras tant ! Des connaissances sur soi-même, je veux bien. Mais sur les autres, je ne vois pas.
– Ah mais si ! Parce que ton activité, tu la racontes à des autres qui sont assis ou debout autour de toi, pas trop loin. Et eux, ils en apprennent sur toi, sur comment tu vois et fais les choses, et toi, tout en racontant, tu vois leurs réactions. Et immédiatement, tu reconstruis ta manière de raconter. Leurs expressions peuvent un peu guider ton récit, ce que tu mets dedans, en plus ou moins précis, en plus ou moins riche. Et eux, ils voient que tu cherchesà diredes trucs pas simples du tout, et ça leur fait plaisir !
– En effet, je sens bien que ça pourrait se passer comme ça. Mais au fait, tout ça, c’est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir, non ?
– Ah mais pas du tout ! C’est pour celles et ceux qui travaillent, ou qui ont travaillé, ou qui font d’autre choses encore, parce que jamais ils n’ont l’occasion de mettre en avant qui ils et elles sont vraiment, intimement.
– En fait, tu penses que ça fait du bien de raconter son activité alors ?
– Je crois que oui. Ça te réconcilie avec toi-même, parce qu’au lieu de te culpabiliser parce que tu as fait des trucs dont tu penses que c’est fait de travers, tu comprends que tu avais de bonnes raisons d’agir comme tu l’as fait. Alors, immédiatement, tu es en meilleure santé. Parce que les chefs, les directions, ils sont tout le temps en train de te dire que tu pourrais faire mieux, plus vite, que t’es pas assez organisé.e., pas assez motivé.e, etc…Alors que si tu entres dans un récit de ton activité, tu t’aperçois que tout ce qu’ils disent et pensent de toi, ce sont des énormes conneries. Une fois que tu t’es rendu compte de ça, tu respires enfin, ta vie change…
– Tu m’as pas dit qu’on racontait à peine quelques minutes d’activité ? ça suffit pour que ça fasse du bien ?
– Fais-en l’expérience et tu verras que ça change la façon de voir toute son activité ! Parce que 5 minutes de travail ce n’est rien, mais 5 minutes d’activité c’est un feu d’artifices !
– Alors si le salaire c’est ça, je veux bien raconter ! Comment on fait ?
Jean-Marie Francescon, 14 octobre 2020